Le temps de l’amour : Les préliminaires pourquoi faire ?

ASSISES DE SEXOLOGIE & SANTÉ SEXUELLE, MARS 2019

Abstract de la communication de Capucine Moreau

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Derrière les symptômes et les plaintes des couples qui viennent nous voir (difficulté à atteindre l’orgasme, à maintenir une érection, absence de désir de l’un des partenaires…) se cache très souvent une lassitude de l’un des deux face aux scripts érotiques partagés, quasi identiques depuis des années, chaque fois renouvelés. Il n’est pas toujours facile d’y avoir accès… Encore faut-il qu’il ou elle puisse nommer cet ennui, même de façon voilée, avec une petite mou reconnaissable ou une étincelle dans les yeux quand il ou elle comprend que vous avez compris en évoquant subtilement tout ce que peut englober en fait l’univers érotique…

Le script habituel que les couples décrivent est souvent le même : préliminaires (dans lesquels ils citent le sexe oral, cunnilingus, ou fellation, ou les deux), pénétration, éjaculation (et orgasme de la partenaire féminine en option). Et impossible d’imaginer -pour l’un des deux du moins- comment ce pourrait être autrement… 

Que veut dire alors ici le terme de préliminaires ? « ce qui vient avant, ce qui prépare », « la mise en bouche », comme le définit Waynberg. Avant quoi ? Le coït… qui est donc valorisé comme le coeur du spectacle. 

« La relation érotique est, en soi, un temps magique, arraché à la vie quotidienne. Il a donc un commencement et une fin » écrit Alberoni… Que se passe-t-il lorsque les représentations collectives que nous avons de la sexualité amènent les couples hétérosexuels à commencer invariablement leur séance érotique par des « préliminaires » comme ils les nomment et à terminer invariablement par une éjaculation ? Ce terme « préliminaires » ne viendrait-il pas contribuer à appauvrir la vision que nous avons de l’érotisme ? Ne viendrait-il pas imprimer un mouvement sensé être correct et forcément performant à nos ébats ? Sans quoi il serait finalement anormal et pathologique de ne pas jouir ? 

« Le plus est la révélation du nouveau dans le continu, dans ce qui est déjà là. Le nouveau est alors apport et enrichissement. Seul ce qui existe, ce qui vit dans la durée et la continuité, peut prendre de l’extension. Mais seul ce qui est discontinu peut être confronté, comparé, enregistré dans la mémoire. C’est l’union du continu et du discontinu qui crée l’identité,  et donc la possibilité de croissance, la tension vers le haut, vers la perfection » écrit encore Alberoni. Comment peut-on faire entendre aux couples qu’un autre type de présence à l’autre, d’écoute des corps, d’union dans l’instant, peut être à l’oeuvre si ce qu’ils vivent ne leur convient pas ?  Peut-on parler à certains couples de créativité érotique dès lors que leur relation affective est bonne ou restaurée ? Comment la rendre légitime, accessible, concrète ? Comment nous servir de ce terme « préliminaires » et ce à quoi ils sont sensés servir (faire monter l’excitation, préparer nos corps, les lier progressivement, intensifier l’émotion et la jouissance) pour déconstruire les scripts et y intégrer de l’espace, des fêlures, du renouveau ?

Et comment, au-delà de nos cabinets, peut-on ouvrir ce discours pour autoriser, légitimer, ouvrir nos représentations, faire respirer, et permettre ainsi à celles et ceux qui en ont l’intuition de s’offrir toute la puissance et l’énergie que peut recouvrir la scène érotique ? C’est ce que j’essaye d’impulser et de faire vivre à L’École de Capucine en complément de ma pratique clinique… Jouer, décaler ses rythmes. Commencer par presque rien, un contre-temps. En faire une prière, un véhicule pour le ciel. S’évanouir. Pleurer. Rire. Élargir le vocabulaire du corps, du ventre, des coeurs, des âmes, c’est cela l’érotisme ?!  

Mots clés : préliminaires, couple, créativité, érotisme, mouvement 

Références :

Alberoni Francesco, L’érotisme, Ramsay, 1987

Marzano Michela, Philosophie du corps, Que sais-je? Puf, 2007

Pasini Willy, Le Temps d’aimer, Ed Odile Jacob, 1997

Waynberg Jacques, Le dico de l’amour et des pratiques sexuelles, Milan, 1999